Quand la recherche avec les animaux fait avancer la science

Date 10.09.2021
Texte V. Geneux et R. Carlier
Source EPFL
Photo Selina Slamanig, GBS Saint-Gall
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SERIE D’ÉTÉ : LES COULISSES DE LA SCIENCE
Malgré les progrès dans la mise au point de méthodes alternatives et innovantes sans animaux, l’expérimentation animale contribue toujours à l’acquisition de nouvelles connaissances dans la recherche biologique et médicale. À l’EPFL, la recherche, mais aussi le bien-être des souris, rats et poissons des animaleries sont une priorité pour tous les scientifiques.

Georgy Froté est loin de son Jura natal quand il s’élance, par une humide journée de juin 2020, sur un parcours de marche à la clinique Balgrist, au bord du lac de Zurich. Un pas après l’autre, il parvient à avancer de 17 mètres, sans aucune aide. « Personne ne s’attendait à un tel résultat ! », se rappelle avec émotion le jeune homme, qui regrette de ne pas avoir fait plus. Victime d’un grave accident de moto en 2010, Georgy Froté a complètement perdu l’usage de ses jambes. Pourtant, grâce à une étude menée par le professeur de l’EPFL Grégoire Courtine et la neurochirurgienne du CHUV Jocelyne Bloch, ainsi qu’à un entrainement intensif, il a pu retrouver une petite partie de sa motricité. En 2018, il s’est fait implanter sur sa moelle épinière, en dessous de sa lésion, un champ d’électrodes connecté à un neurostimulateur. Ce dispositif permet grâce à des impulsions électriques de recréer les stimulations neuronales nécessaires pour déclencher le mouvement des jambes.

Un chemin long et difficile pour ce patient, pour qui « une étape a été franchie ». Mais aussi une avancée scientifique qui n’aurait jamais pu se produire sans une décennie de recherche sur des modèles animaux. Pour développer le dispositif, les scientifiques ont d’abord travaillé avec des rats rendus paraplégiques et implantés avec le même système. Après une phase de simulation sur ordinateur, ayant permis de comprendre quelles connexions neuronales étaient sollicitées par les électrodes, ils ont modélisé leurs hypothèses chez des souris génétiquement modifiées, d’autres rats, puis chez des macaques, avant de passer aux phases d’essais cliniques chez l’humain. « Les étapes de compréhension des mécanismes ont été fondamentales pour avoir un succès immédiat chez l’homme. Maintenant, neuf patients ont été implantés, possédant des lésions incomplètes ou complètes, et dans tous les cas, ils ont récupéré des fonctions motrices », commente Quentin Barraud, adjoint de Grégoire Courtine à l’EPFL.

Chercheur avec un rat © Selina Slamanig, GBS Saint-Gall

Modéliser les hypothèses scientifiques

Pour développer des médicaments et thérapies, et pouvoir aider des personnes comme Georgy Froté, l’EPFL s’est dotée en 2009 de plusieurs animaleries hébergeant aujourd’hui près de 20 000 souris, 660 rats et 18 000 poissons-zèbres. En Suisse, tout projet de recherche impliquant des animaux est soumis à l’approbation des autorités vétérinaires cantonales, qui travaillent conjointement avec une commission cantonale pour l’expérimentation animale, composée aussi bien de spécialistes que de représentants de la protection des animaux. Une demande d’autorisation doit préciser, entre autres, le but de l’expérimentation, toutes les procédures expérimentales qui seront exécutées, en quoi elles sont indispensables, et le nombre maximum d’animaux qui seront impliqués. Les scientifiques doivent donc démontrer la nécessité et l’adéquation des expériences envisagées, sous peine de voir leur demande soumise à plusieurs conditions, voire, plus rarement, refusée.

C’est pour habituer les souris à la présence humaine”

Chaque cage est tapissée de sciure et aménagée avec divers équipements. Elle contient un maximum de cinq souris. © Selina Slamanig, GBS St. Gall
Chaque cage est tapissée de sciure et aménagée avec divers équipements. Elle contient un maximum de cinq souris. © Selina Slamanig, GBS St. Gall

Passer les portes d’une animalerie de souris nécessite tout un rituel. Blouse, charlotte, gants et sabots désinfectés, et masque chirurgical sont indispensables pour pénétrer dans la zone d’hébergement et d’expérimentation. L’organisation des cages, rangées dans des racks et bénéficiant d’un système individuel de ventilation, fait penser à des immeubles de plusieurs étages. Chaque boîte est tapissée de sciure et aménagée avec divers équipements tels qu’un dôme en plastique rouge et un rouleau de carton, permettant aux rongeurs de construire leurs nids, jouer ou se regrouper pour dormir. Elle contient un maximum de cinq souris. En journée, la radio est allumée en permanence comme fond sonore. « C’est pour habituer les souris à la présence humaine », explique l’un des animaliers du Centre de PhénoGénomique (CPG), qui gère les animaleries.

En zone d’expérience, chaque pièce est dédiée à un test différent : échographie, labyrinthe, test d’endurance, entre autres. Élevés spécifiquement pour les besoins d’une recherche, les animaux possèdent tous une utilité. Que ce soit dans le cadre d’études sur le cancer, les maladies neurodégénératives, l’obésité, ou encore le Covid-19, les thématiques sont variées et la vérification des hypothèses scientifiques nécessite un grand nombre d’animaux.

Chaque cage est tapissée de sciure et aménagée avec divers équipements. Elle contient un maximum de cinq souris. © Selina Slamanig, GBS St. Gall
Les rongeurs sont des animaux sociaux, qu’il est important de manipuler avec précautions. © Selina Slamanig, GBS St. Gall

 

« Le chercheur ne peut pas faire ce qu’il veut »

En tout, ce sont près de 65 personnes qui gravitent autour des animaleries, veillent au respect des procédures et au bien-être des animaux. Et une cinquantaine de groupes scientifiques qui ont besoin de souris, rats et poissons-zèbres dans le cadre de leurs recherches. Au moindre problème, le vétérinaire du CPG s’occupe de soigner les rongeurs. Les collaboratrices et collaborateurs du centre, qui passent le plus de temps avec les souris, en sont bien souvent très proches. « Il y a un lien qui se crée, c’est certain, même si elles se ressemblent, on ne s’habitue jamais au fait qu’elles doivent disparaitre à un certain moment de l’expérience », confie un animalier. Une doctorante en train de faire passer un scanner à une souris endormie confirme. « J’ai pris l’habitude de manipuler les souris, mais je n’ai pas envie de continuer après mon doctorat. La souffrance animale me touche bien que je fasse la part des choses », confie la jeune femme.

À l’EPFL, 93 % des expériences relèvent d’une contrainte nulle à modérée, et la majorité d’entre elles sont de nature non invasive. Mais la souffrance animale, ainsi que l’euthanasie quasi systématique, qui permet d’analyser post mortem les tissus ou organes sollicités du vivant de l’animal, restent des sujets délicats. Xavier Warot, responsable du CPG, explique. « Le chercheur ne peut pas faire ce qu’il veut. Il y a toujours une pesée des intérêts entre ce que l’animal va recevoir en matière de contrainte, et le bénéfice qui en sera retiré pour aider la société civile et la science. » Pour obtenir des résultats scientifiques fiables, les données issues des expérimentations doivent l’être aussi. Aussi, aucune souffrance ou mal-être chez l’animal ne peut être toléré, au risque d’obtenir des résultats biaisés. « Si l’animal est malheureux, ou souffre, nous n’aurons aucune donnée exploitable. Toute la recherche serait alors faussée. Le bien-être animal relève du sérieux et de l’excellence scientifique », déclare Quentin Barraud, du laboratoire de Grégoire Courtine.

Les rongeurs sont des animaux sociaux, qu’il est important de manipuler avec précautions. © Selina Slamanig, GBS St. Gall

Si l’animal est malheureux, ou souffre, nous n’aurons aucune donnée exploitable”

Le Centre de PhénoGénomique de l’EPFL emploie une équipe hautement qualifiée d’animalières et animaliers. © Bruno Marquis
Le Centre de PhénoGénomique de l’EPFL emploie une équipe hautement qualifiée d’animalières et animaliers. © Bruno Marquis

Réduire au minimum le nombre d’animaux

D’ailleurs, les expérimentations animales ne sont acceptées que si aucune autre méthode de test n’est possible. Ainsi, l’EPFL respecte le concept des 3 R, pour remplacer, réduire et raffiner. Comme l’explique le Centre de Compétence suisse 3R, fondé en 2018 pour favoriser la mise en place de ces principes, les scientifiques des organismes publics et privés « ne peuvent procéder à des expériences sur les animaux que s’il n’existe pas de méthodes alternatives et, par conséquent, doivent faire tout ce qui est nécessaire pour réduire au minimum le nombre d’animaux et la charge qui pèse sur eux ».

Dans le cadre de recherches sur la maladie d’Alzheimer, les chercheuses et les chercheurs du laboratoire de neuro-épigénétique de l’EPFL tentent de réduire autant que possible le nombre d’animaux, en prélevant post mortem autant d’éléments du cerveau que possible et en utilisant les bases données publiques pour ne pas reproduire ce qui a déjà été réalisé. « Nous pré calculons toujours la taille de l’échantillon dont nous avons besoin afin de ne pas générer trop d’animaux. De plus, si les résultats obtenus sont suffisants et confirment notre hypothèse de recherche, nous n’allons pas faire subir des tests supplémentaires aux animaux », précise Johannes Gräff, directeur du laboratoire.

Pour répondre à leur hypothèse de recherche, les scientifiques ont à leur disposition plusieurs méthodes, dont les tests in vitro et les tests in vivo. « Il est important de comprendre que les uns ne vont pas sans les autres, précise le responsable du CPG. Les scientifiques exploitent d’abord toutes les possibilités de test in vitro (sur des cultures cellulaires), in silico (avec des modèles informatiques), ou avec des organoïdes, dont le développement est récent, avant d’avoir recours à des modèles animaux. » Parfois, les méthodes alternatives ne permettent pas de parvenir à des résultats cliniques concluants. C’est le cas pour les travaux de la professeure Cathrin Brisken, dont le laboratoire étudie le rôle des hormones dans l’apparition du cancer du sein. « Dans notre domaine de recherche, on ne peut pas tester l’exposition prolongée à la pilule contraceptive sur les tissus avec des méthodes in vitro. Les résultats seraient trompeurs, car nous devons visualiser l’ensemble de l’organisme, pas une partie seulement », explique-t-elle. Chaque expérience doit donc s’adapter aux forces et aux faiblesses de chaque modèle de test. Le responsable du CPG reconnait que les modèles animaux sont très utiles dans la recherche scientifique, mais peuvent être mal exploités. « Même si les modèles animaux ne sont pas parfaits, car il subsistera toujours des différences entre les souris et les hommes par exemple, la recherche préclinique permet toutefois d’évaluer l’efficacité et l’innocuité du candidat médicament avant d’être testé chez l’humain. Il s’agit d’un processus établi. »

Le Centre de PhénoGénomique de l’EPFL emploie une équipe hautement qualifiée d’animalières et animaliers. © Bruno Marquis

Dans notre domaine de recherche, on ne peut pas tester l’exposition prolongée à la pilule contraceptive sur les tissus avec des méthodes in vitro”

Le principe des 3R dans la recherche avec les animaux © EPFL MCV, tierversuche-verstehen.de

 

Débats émotionnels

La question de la recherche avec les animaux reste sensible et occasionne souvent des débats émotionnels, mais il existe un terrain d’entente possible grâce aux 3 R, estime Fabienne Crettaz von Roten professeure à l’Université de Lausanne et auteure du livre « Expérimentation animale : analyse de la controverse de 1950 à nos jours en Suisse ». « Les personnes qui sont contre ce type de recherche et les scientifiques possèdent tous une sensibilité, et sont contre la souffrance envers les animaux. Tout le monde s’accorde sur le principe des 3R ainsi que le développement de techniques alternatives ». Et d’ajouter : « Il est naturel que le débat soit émotionnel, mais cela ne veut pas dire que les réactions sont irrationnelles. Nous sommes touchés par la souffrance animale, mais nous avons aussi des espoirs de guérison liés à l’expérimentation animale. On pose ici une vraie question. Peut-on faire mieux ? Est-ce que les commissions cantonales fonctionnent bien ? Les contrôles sont-ils effectués correctement ? Toutes ces questions sont légitimes et il est bon de se les poser lors de débats démocratiques. »

Il apparaît important que les discussions sur ce sujet se tiennent entre la société civile et la communauté scientifique. La science est un domaine de perpétuelle remise en question, les problématiques d’aujourd’hui ne seront certainement pas celles de demain, et notre rapport aux animaux a changé grâce à l’évolution de la science. En mettant en place une démarche de transparence sur ses activités scientifiques, l’EPFL entend participer à ces débats démocratiques.

 

 

Le principe des 3R dans la recherche avec les animaux © EPFL MCV, tierversuche-verstehen.de

Les personnes qui sont contre ce type de recherche et les scientifiques possèdent tous une sensibilité”