Asclepios : en route pour la lune

Date 20.08.2021
Texte Valérie Geneux
Source EPFL
Photo Istock & Jamani Caillet
Projet interdisciplinaire
Le projet Asclépios, mené par des étudiantes et étudiants de l’EPFL, a pour but est de simuler une mission lunaire tout en restant sur Terre. Pendant plus d’une semaine, six vrais-faux astronautes ont vécu dans la copie d’une base spatiale, en plein cœur de la montagne du Grimsel. Récit de cette expérience presque extraterrestre.

Personne ne peut soupçonner où ils vont, ni où ils s’apprêtent à passer les jours à venir. En ce début du mois de juillet, trois étudiantes et trois étudiants de l’EPFL, et d’ailleurs, ont décidé d’aller vivre sur une base lunaire. Pendant plus d’une semaine, ils seront des astronautes analogues, c’est-à-dire de vrais faux astronautes qui simuleront une expédition spatiale sur la Lune, tout en restant sur Terre. C’est la mission Asclépios, menée par et pour des étudiants.

Départ de l'équipe pour Grimsel dans les alpes bernoises © Jamani Caillet

L’endroit choisi pour poser leur combinaison spatiale n’est autre qu’un tunnel sous la montagne du Grimsel, dans les alpes bernoises. Pour y accéder, il faut se rendre au pied d’un barrage, puis se laisser engloutir par la montagne. Après avoir roulé en minibus plusieurs minutes dans un souterrain obscur, il ne fait plus que treize degrés au cœur de la roche. Le taux d’humidité dépasse 80 %, la lumière naturelle ainsi que le réseau ont disparu.

À l’école primaire de Guttannen, à quelques kilomètres des tunnels du Grimsel, les étudiants ont transformé la salle de gym en centre de contrôle. Ils suivent 24 heures sur 24 ce qu’il se passe dans la base et demeurent en contact permanent avec les astronautes. En fin de journée, le décollage approche. On se souhaite bonne chance et l’on se donne les ultimes recommandations. « On croit en vous. Faites que cette mission soit un succès. See you on the moon », déclare Chloé Carrière, étudiante à l’EPFL et présidente de l’association Space@yourservice qui organise la mission Asclépios, aux astronautes analogues. Après les dernières accolades, ils montent dans le minibus qui les conduit directement dans le tunnel. Lundi, à 18 heures tapantes, ils referment la porte de leur base spatiale pour huit jours d’isolement et d’autarcie. Tout le monde a le sourire aux lèvres.

Départ de l'équipe pour Grimsel dans les alpes bernoises © Jamani Caillet

On croit en vous. Faites que cette mission soit un succès. See you on the moon”

Village de Guttannen © Jamani Caillet

 

Pour entrer dans la base lunaire, il faut tout d’abord passer par un sas de décompression. Les murs ont été recouverts de panneaux d’aluminium pour rendre le tout encore plus réaliste. « Il ne manque que l’absence de gravité », explique Julien Corsin, un des astronautes analogues. L’aménagement a été entièrement conçu par les étudiants comme les toilettes sèches qui ont été fabriquées par un étudiant en architecture. Sur deux étages se trouvent une cuisine, des lits, un salon, une tente pour les expériences, une salle de sport et un petit recoin derrière un rideau pour l’hygiène intime, car sur la Lune il n’y a pas de douche. « Tout a été pensé pour se rapprocher au plus près des conditions dans l’espace. Il s’agit de situations extrêmes, mais le but est d’offrir aux astronautes analogues un premier aperçu de ce qu’est la vie dans une base spatiale », explique Chloré Carrière. En tout, ce sont près d’une centaine d’étudiants et étudiantes qui ont participé à l’élaboration de ce projet. Pour la mission en tant que telle, ils sont six astronautes analogues et une équipe de 24 personnes, restés sur Terre, qui assurent son bon déroulement.

Village de Guttannen © Jamani Caillet

Jour J, début de l'expédition © Jamani Caillet

La mission lunaire

Pendant toute la durée de l’expédition, les astronautes analogues n’ont que des contacts limités avec le monde extérieur. Bien que les communications avec le centre de contrôle soient quotidiennes, mais toujours dans le cadre strict de la mission, les discussions avec leur famille et leurs proches sont restreintes à cinq fois trente minutes. Au bout de quelques jours, lors d’un zoom avec la Terre, Sophie Lismore, une des astronautes analogues, reconnait que son entourage lui manque. Pour Julien Corsin, le plus dur est de ne pas connecter son téléphone au réseau wifi pour consulter ses messages.

Malgré l’éloignement, leurs journées sont rythmées par un programme surchargé. Réveil en musique à 6 h 30, couché à 22 heures. Tout au long de la journée, les astronautes doivent réaliser des tâches bien précises : mener des expériences, faire le ménage, cuisiner, enregistrer des podcasts, ou alors faire du sport. Au centre de contrôle, un poste de travail est dédié uniquement au suivi et au respect de l’horaire, ainsi qu’à sa mise à jour régulière.

Jour J, début de l'expédition © Jamani Caillet

Jour 4, en direct de la base lunaire @ Jamani Caillet

Tous les jours des expériences ont lieu. Lundi après-midi, les astronautes ont piloté à distance un robot du MIT capable de miner de la glace sur la Lune afin d’y trouver de l’eau. « Pour le MIT, il est important de collaborer avec nous, car cette mission analogue est le test le plus proche des conditions réelles dans l’espace », explique Marcellin Feasson, étudiant en physique et resté à Guttannen. Parmi les autres missions expérimentales, les astronautes sont aussi sortis hors de la base pour effectuer des relevés topologiques ou ont encore fabriqué leur propre pansement avec de l’huile, du sucre et de l’amidon de maïs.

Et vivre tous ensemble enfermés sous terre ? Durant la mission, aucun des astronautes analogues ne se semble mécontent de cette promiscuité imposée. « Entre nous, l’ambiance est bonne. On s’entend bien. Ce soir nous avons du temps libre, on a prévu de faire des jeux de société », raconte Julien Corsin au cours d’un zoom avec la Terre. Les relations sociales semblent un des points les plus importants lorsque l’on passe huit jours en huis clos. « Les six astronautes n’ont pas été sélectionnés en tant qu’individus, mais comme groupe. Depuis leur rencontre, il y a deux ans, ils ont créé une belle amitié », explique Chloé Carrière. Un sentiment que vient corroborer Sophie Lismore, depuis le tunnel. « Nous sommes de bons collègues, de bons colocataires et de bons amis. Dans la base, nous sommes certes isolés, mais nous ne sommes jamais seuls. »

Jour 4, en direct de la base lunaire @ Jamani Caillet

Les six astronautes n’ont pas été sélectionnés en tant qu’individus, mais comme groupe”

L'intérieur de la base lunaire avec la cuisine et l'espace nuit @ Jamani Caillet

 

Ceux restés sur Terre

Dans la salle de gym de l’école primaire, une horloge est accrochée au panier de basket. Deux écrans géants diffusent en temps réel ce qu’il se passe dans le tunnel. On peut y voir les astronautes travailler et préparer leur repas. Au milieu de la salle de gym, des tables disposées en forme de U servent de bureaux. Chaque poste possède au moins deux ordinateurs. Celui du commandant de vol contient deux ordinateurs portables, un écran, trois claviers et trois souris. Il est en effet aux commandes de tous les autres écrans et contrôle les différentes données qui proviennent du tunnel.

Ici, tout est rodé. Les étudiants se relaient 24 heures sur 24. Il y a ceux qui travaillent le matin, ceux de l’après-midi, ceux du soir et ceux de la nuit. Chaque shift possède une couleur bien définie : le bleu, le vert, le jaune et le rouge. L’ambiance dans le centre de contrôle ressemble à celle d’une bibliothèque : studieuse. Chaque étudiant est concentré sur sa mission et sur les tâches qu’il doit effectuer. Il y a le « cap comm », celui qui s’occupe de communiquer avec les astronautes, la « flight plan », celle qui assure que le planning de la journée soit respecté, la « flight commander », qui garde un œil sur tout le groupe, ou encore l’ingénieure biomédicale, qui veille à la santé physique et psychique des astronautes. Les shifts s’enchaînent dans la concentration et le sérieux. Le soir, ceux qui ne travaillent pas vont se coucher, épuisés. On est bien loin des folles nuits estudiantines. « Cela fait deux ans que l’on prépare ce projet, maintenant qu’on est en plein dedans on veut faire les choses bien. On garde la fête pour la fin de la mission », précise Léonard Freyssinet, étudiant en physique et responsable de la communication d’Asclépios.

L'intérieur de la base lunaire avec la cuisine et l'espace nuit @ Jamani Caillet

Jour 7, immersion au centre de contrôle © Jamani Caillet

Quand elle n’est pas à l’œuvre, l’équipe restée sur Terre vaque à ses occupations. Terence Van Thuyne, un étudiant de 24 ans, a amené son échiquier. Avec Théodore Bellwald, étudiant en physique et chargé du shift nocturne, ils passent leur après-midi à s’affronter. « Sinon, je regarde des séries, je joue aux jeux vidéo », explique le second. Pour les repas, ceux en repos cuisinent pour ceux qui travaillent, et les autres se préparent leurs propres menus. Riz et dhal de lentilles, flammenkuche et croque-monsieur aux œufs se sont enchaînés dans la cuisine commune. Pour le logement, les étudiants dorment tous dans l’abri de la protection civile, situé sous l’école de Guttannen. Chambres sans fenêtre et sans chauffage, ils partagent le même manque de confort que les astronautes du tunnel. « On a quand même des matelas plus épais », relève Léonard Freyssinet.

Dernier soir avant la fin de la mission. À 22 heures, des voix et des notes de piano s’élèvent de la salle de musique de l’école. Un groupe d’étudiants ont décidé d’enregistrer une chanson pour l’ultime réveil des astronautes analogues. Jessica Studer, étudiante en médecine et chargée du suivi médical des astronautes analogues ainsi qu’Elfie Roy, étudiante en physique à l’EPFL et cheffe de projet adjointe, se sont mises au piano pour un quatre mains.

Jour 7, immersion au centre de contrôle © Jamani Caillet

les étudiants dorment tous dans l’abri de la protection civile, situé sous l’école de Guttannen”

Moment de détente musicale @ Jamani Caillet

Au même moment, dans la salle de gym, Loïc Lerville, étudiant en biomécanique, prend place à son poste. Il s’occupe des dernières communications avec la base spatiale avant l’extinction des feux. Pour le dernier soir, il a décidé de faire la lecture d’un extrait du Petit Prince à Éléonore Poli, l’astronaute analogue commandante. Il a pris le soin de modifier le texte en ajoutant des références à la mission Asclépios. « Elle a oublié d’apporter des livres. J’ai donc instauré ce petit rituel. Chaque soir, je lui ai lu un passage d’un bouquin », explique Loïc Lerville. De l’autre côté de l’écran, Éléonore Poli écoute religieusement.

Moment de détente musicale @ Jamani Caillet
Éléonore Poli, l'astronaute analogue et commandante de la mission Asclepios © Jamani Caillet

 

Retour sur Terre

Mardi, 7 h 30. Terence Van Thuyne, le joueur d’échecs, a déjà ouvert son damier. Du côté du centre de contrôle, c’est l’heure de l’ultime briefing. À l’écran, on aperçoit les traits tirés des astronautes fatigués. L’équipe restée sur Terre passe rapidement en revue le programme de la journée : sport, rangement et nettoyage avant le décollage et le retour sur orbite. « Bon dernier jour sur la Lune », conclut le « cap comm ».

Éléonore Poli, l'astronaute analogue et commandante de la mission Asclepios © Jamani Caillet

Jour 8, retour sur Terre © Jamani Caillet

En fin de journée, l’atterrissage — ou le retour en minibus — se déroule comme prévu. C’est en formant une arche d’honneur et sous des applaudissements émus que l’équipe du centre de contrôle accueille les six astronautes tous sains et saufs. « Merci d’avoir rendu ce rêve réalité », leur déclare Chloé Carrière.

 

Jour 8, retour sur Terre © Jamani Caillet

Mission Lunaire Asclepios I (© Jamani Caillet/Mediacom EPFL)

Site Web: https://asclepios.ch/

 

Mission Lunaire Asclepios I (© Jamani Caillet/Mediacom EPFL)