Le numérique stimule le renouveau de la formation

Date 28.06.2022
Texte L. Duvillard, A-M. Brouet, E. Barraud, L. Uberschlag, & N. Jollien
Source EPFL
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N°5
Il suffit de penser à l’école, aux cours du secondaire, peut-être à l’université ou à ce séminaire de formation continue. En y réfléchissant émerge souvent le souvenir d’une enseignante ou d’un enseignant qui s’est démarqué, en bien ou en mal. S’y mélange la réminiscence d’une atmosphère, des copains et collègues de cours, la soif d’en savoir plus mêlée à l’envie de tout plaquer. De nombreux éléments entrent en compte dans les apprentissages qui jalonnent nos vies, tels que le cadre, la méthode d’enseignement, l’ambiance de la classe, son expérience personnelle ou encore son état émotionnel. Dès lors, comment bien enseigner et apprendre ? Quelle formation pour les scientifiques et les citoyennes et citoyens de demain ? C’est l’exploration que nous vous proposons dans ce dossier.

S’adapter aux évolutions

« La manière dont on apprend et on enseigne représente le cœur des sciences de l’éducation. Au pluriel, car c’est une mosaïque de disciplines qui englobe la sociologie, l’économie, l’histoire ou encore la philosophie de l’éducation », détaille Pierre Dillenbourg, vice-président associé pour l’éducation à l’EPFL et cofondateur du centre LEARN dédié aux sciences de l’apprentissage . Un centre qui regroupe tous les acteurs de l’EPFL impliqués dans la recherche pédagogique et le développement de nouveaux outils au service de l’éducation. 

En partenariat avec les personnes actives sur le terrain, les actrices et acteurs du centre LEARN mènent des projets novateurs à tous les niveaux du système éducatif suisse. Dans une perspective de recherche translationnelle, ils étudient ensuite l’impact de ceux-ci pour améliorer les pratiques pédagogiques et les adapter aux besoins de notre société et à l’évolution des sciences. 

Au niveau de l’école obligatoire, le centre LEARN est par exemple chargé de former les enseignantes et enseignants vaudois à la manière de transmettre à leurs élèves la science informatique et la citoyenneté numérique, et à l’utilisation de technologies pour l’enseignement. « Ce projet est important par sa forme et ses objectifs, relève Jessica Dehler Zufferey, directrice exécutive du centre LEARN. Il nous permet de faire de la recherche translationnelle, et contribuer à éduquer les élèves de tout un canton à comprendre et façonner le monde numérique qui les entoure nous semble crucial. »

Dans ce dossier
  • J’ai appris comment faire une voiture de A à Z. Oui, c’est possible.
  • Un centre pour améliorer les compétences transversales
  • La technologie n’a qu’un effet potentiel. L’important est ce que l’on en fait.
  • Cours en solo, exos en classe : une combinaison gagnante
  • Robotique et numérique sur les bancs d’école
  • Nous devrions normaliser le fait que l’apprentissage fait partie de tout emploi.

Un modèle plus inclusif

Au niveau universitaire, les chercheuses et chercheurs du centre LEARN — dont fait également partie le Centre d’appui à l’enseignement — se sont par exemple penchés sur le modèle de la classe inversée, dans lequel la théorie est assimilée de manière individuelle et le temps en classe est consacré aux questions, interactions et exercices. 

Une analyse du succès du cours d’algèbre linéaire de première année dispensé à l’EPFL par le professeur Simone Deparis a montré que la classe inversée est un modèle plus inclusif, car il réduit les disparités, en permettant aux étudiantes et étudiants ayant un niveau de mathématiques moins élevé que la moyenne de mieux réussir . Une conclusion réjouissante, sachant que la pandémie et les cours à distance ont encouragé de nombreux enseignants et enseignantes à se lancer dans la classe inversée. 

Pour autant, ce modèle représente-t-il le graal de l’enseignement universitaire ? « Il n’existe pas un modèle qui fonctionne à tous les coups, une bonne professeure ou un bon professeur doit savoir s’adapter, faire preuve de flexibilité pour choisir la technique et les outils les plus appropriés à ce qu’il souhaite enseigner, et être capable de prendre en compte les feedbacks », souligne Roland Tormey, maître d’enseignement et de recherche à l’EPFL et responsable du Centre d’appui à l’enseignement. La recherche scientifique le montre, « les gens apprennent significativement mieux lorsqu’ils reçoivent un feedback leur permettant d’identifier ce qu’ils doivent faire, où ils ont réussi et échoué et comment ils peuvent s’améliorer ». 

Il n’existe pas un modèle qui fonctionne à tous les coups, une bonne professeure ou un bon professeur doit savoir s’adapter

Appliquer les connaissances

Ainsi, à tous les niveaux, les feed-backs constructifs sont essentiels dans le processus d’apprentissage, tout comme l’interactivité et le droit à l’erreur. «Ces dernières années, nous avons assisté à de nombreux changements dans les cours : plus de place est donnée à la discussion, aux exercices, et l’émergence d’outils comme l’application de chat SpeakUp  encourage l’interactivité », remarque Roland Tormey. La pandémie a mis en exergue l’importance de cette dernière, mais aussi de la mise en pratique qui permet de vérifier que les connaissances théoriques sont assimilées. « Dans le système éducatif, de l’école primaire à l’université, il y a un travail à faire sur la notion de transfert de connaissances. Lorsqu’il acquiert des connaissances dans un contexte spécifique, l’être humain n’est pas spontanément capable de les transférer dans un contexte différent », note Pierre Dillenbourg.

Une manière d’exercer ceci passe par l’apprentissage par projets et un enseignement centré sur la résolution de problèmes. À l’EPFL, les étudiantes et étudiants bénéficient d’infrastructures destinées à soutenir l’apprentissage par la pratique, comme le Student Kreativity and Innovation Laboratory (SKIL) et les Discovery Learning Laboratories, dont fait partie le Student Prototyping and Outreach Tank (SPOT), ouvert au mois de mars. Un makerspace dédié au prototypage mécanique et électronique, comprenant des ressources qui permettent de réaliser des projets très élaborés, comme une voiture de course électrique ou une fusée. 

Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes. Soirée avec les étudiants. (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog

Être armé pour « la vie réelle »

Mettre les mains dans le cambouis, se confronter à des défis de la vie réelle, c’est une volonté des futurs ingénieures, ingénieurs et architectes. Une étude menée en 2020 auprès d’étudiantes et d’étudiants de l’EPFL en fin de cursus Master montre qu’ils ressentent un manque d’opportunités de mise en pratique de leurs connaissances et d’acquisition de compétences transversales utiles dans leur vie professionnelle. « Leur trajectoire comporte de multiples facettes, il est nécessaire de savoir travailler en équipe de manière interdisciplinaire, d’être capable de communiquer avec des personnes de différents horizons. Les notions de durabilité et d’éthique sont aussi fondamentales, et pourtant on voit que ces compétences transversales ne sont pas assez enseignées dans les cursus », détaille Helena Kovacs, chercheuse au centre LEARN et première auteure d’une étude faisant la cartographie des compétences transversales à l’EPFL.

Pour remédier à ceci, l’EPFL a le projet de renforcer l’enseignement des compétences transversales, notamment au niveau du Bachelor, en créant un centre dédié à celles-ci . « Il y a 20 ans, le focus était sur les connaissances et donc les contenus à transmettre. Aujourd’hui, la vision est devenue plus holistique, incluant notamment les compétences transversales, qui sont devenues incontournables. La société évolue et l’enseignement doit s’adapter. Ce n’est pas un processus facile mais la recherche en éducation peut beaucoup aider », remarque Jessica Dehler Zufferey. Parce que nous n’avons jamais fini d’apprendre.

Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes. Soirée avec les étudiants. (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog

Comment rivaliser avec les robots ?

Des roboticiens et des économistes suisses de l’EPFL et de l’UNIL ont mis au point une méthode qui permet de calculer la probabilité qu’un emploi, parmi ceux qui existent actuellement, soit occupé par des machines dans un proche avenir. Ils ont par ailleurs élaboré un outil proposant des transitions professionnelles vers des emplois moins exposés et nécessitant des efforts de reconversion moindres.

La principale innovation de cette étude consiste à établir une cartographie inédite des capacités des robots en fonction des exigences professionnelles.

 Il en résulte une classification de 1000 emplois, selon laquelle les « physiciens » sont les moins susceptibles d’être remplacés par une machine, tandis que les « abatteurs et emballeurs de viande » courent le risque le plus élevé. D’une manière générale, les emplois dans l’industrie alimentaire, le bâtiment et l’entretien, la construction et l’extraction semblent être les plus exposés à la robotisation.

lis2.epfl.ch/resiliencetorobots


J’ai appris comment faire une voiture de A à Z. Oui, c’est possible.

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Textes | Anne-Muriel Brouet
La théorie et la pratique, c’est le yin et le yang du métier d’ingénieur. L’apprentissage par projets permet non seulement d’appliquer les enseignements ex cathedra, mais encore d’acquérir des compétences comportementales indispensables à la vie professionnelle. Reportage dans le nouveau «makerspace» de l’EPFL, entre fraiseuses, imprimantes 3D et machines à coudre.

Mai 2022. Il reste un peu plus de trois semaines avant que l’EPFL Racing Team ne dévoile son bijou. Une voiture de course électrique, dessinée et conçue entièrement par des étudiantes et étudiants, à l’EPFL. Dans l’atelier de mécanique du SPOT, Laura et Jawad s’affairent sur un tour professionnel. Laura mène la machine qui, avec une précision millimétrique, perce le centre d’un barreau d’aluminium. Puis, elle fait tourner la pièce de 22 millimètres pour réaliser deux crans aux extrémités, en évidant l’intérieur. A mesure que la matière part, des serpentins argentés tirebouchonnent sur l’établi.

Inauguré fin mars, le SPOT (nom choisi par la communauté EPFL qui signifie officiellement Student Prototyping and Outreach Tank) est le nouveau temple du prototypage mécanique et électronique de l’EPFL. En quelques semaines, la communauté étudiante a adopté cet atelier géant baigné de lumière, qui rassemble les meilleurs outils pour concrétiser les projets les plus ambitieux et créatifs. En 2018, le SKIL avait ouvert la voie, à l’initiative de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit. Logé dans 15 containers empilés sur trois étages, il propose perceuse à colonne, découpeuse laser et scie à ruban. Avec le SPOT, un nouvel éventail d’opportunités se déploie dans un espace beaucoup plus vaste, flexible et modulaire, pensé pour agiter les méninges des élèves, les inviter à construire avec leurs 10 doigts sans y laisser une phalange.

Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes. Soirée avec les étudiants. (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog

Pac-Man ou Space Invaders?

Ici chaque outil a sa place, rangé comme les instruments d’un bloc opératoire. Mais rien n’appartient à personne. On est à l’ère du «flex-office». Dans le hall ouvert de 400 m2  s’éparpillent des établis qui roulent au gré des groupes ou des individus qui les utilisent. Ici, deux des tables à l’épais plateau de lames de bois monté d’un étau ont été mariées face à un grand écran plat mobile. Les ordinateurs côtoient les circuits électroniques et électriques, un joystick et des manettes de jeu imprimés en 3D s’entourent de divers outils. Cinq étudiants en deuxième année de Bachelor en systèmes informatiques valsent sur leur tabouret à roulettes. Ils s’attèlent à faire communiquer le portable avec le boitier de commandes qu’ils ont réalisé. Dans le cadre du cours du professeur Christoph Koch, intitulé «Making intelligent things», ils ont choisi de (re)construire un jeu vidéo d’arcade, comme ceux que l’on trouvait dans les bars ou les salles dédiées dans les années 70 et 80.

« Nous n’allons pas usiner le meuble ni créer un nouveau jeu, nous nous concentrons sur le dispositif de contrôle couplé avec un écran », précise Clément. Ils disposent de 14 semaines pour relever le défi, sachant qu’ils partent de zéro, ne bénéficient d’aucune connaissance en électronique et pas beaucoup plus en mécanique… « Je n’avais pas imaginé que ce serait aussi complexe », admet l’étudiant. À la fin du semestre, l’équipe obtiendra deux boitiers jumeaux — pour partager le plaisir — modulaires avec des boutons, un joystick, une manette et même un gant équipé d’un gyroscope et d’accéléromètres. Le tout offert en libre accès, avec un mode d’emploi, un site Internet et une vidéo de présentation. Reste aux étudiants à décider s’ils branchent Pac-Man ou Space Invaders

Nous n’allons pas usiner le meuble ni créer un nouveau jeu, nous nous concentrons sur le dispositif de contrôle couplé avec un écran”

Coupler le logiciel à l’objet

« Les systèmes d’information et communication, ce n’est en principe que du logiciel », rappelle Christoph Koch, qui a misé sur le nouveau lieu pour initier le cours. « Mais les logiciels deviennent de plus en plus présents dans les objets, eux-mêmes de plus en plus intelligents et connectés. Disposer d’un atelier de fabrication est l’occasion rêvée pour apprendre aux étudiants à concevoir et prototyper des objets intelligents. »

En groupe de 5 ou 6, les 46 étudiantes et étudiants du cours ont ainsi cogité selon leurs envies et les contraintes pratiques pour proposer leur propre projet. « Je leur ai donné des indications sur ce qui était faisable en termes de taille, de temps, de coût. Après un processus d’itération, ils ont établi un plan de réalisation, les tâches à accomplir, leur liste de courses. » Il en est sorti une table d’échecs intelligente pour jouer physiquement contre un ordinateur, des lunettes connectées, un casque pour contrôler par la pensée une voiture robotisée, un assistant de shopping robotisé, un essaim de voitures connectées pour optimiser le trafic, un bateau à voile autonome, une table magnétique pour dessiner sur le sable avec une boule, un gant de réalité virtuelle. « Certains projets contiennent très peu d’électronique, d’autres très peu de mécanique, mais l’idée est vraiment de coupler l’objet et le logiciel », résume le professeur.

Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog
Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog

Problématiques complexes, compétences variées

« Avant on passait deux heures derrière un ordinateur à essayer de déboguer un code. Ici quand ça ne marche pas, on réimprime la pièce », synthétise Antoine qui travaille sur l’assistant robotique pour le shopping. Outre les deux imprimantes 3D dans l’open space, une quinzaine de plus déroulent méthodiquement leurs fils de couleur au sous-sol, dans une salle dédiée. L’endroit est accessible 24h/24, mais pas question d’y venir pour réaliser un porte-clés Pokémon. Sur une feuille, il faut inscrire son nom, son projet, sa durée. Et quand il y a bourrage de fil ou besoin d’un outil spécifique, des assistants-étudiants, reconnaissables à leur gilet jaune, quittent volontiers le bureau d’accueil pour donner un coup de main.

En se confrontant à la réalité pratique, les étudiantes et étudiants apprennent bien davantage qu’à souder, meuler, usiner ou imprimer une pièce. « Aujourd’hui les problématiques sont complexes et il faut des compétences variées pour les résoudre , avance Pascal Vuilliomenet, responsable de projets aux Discovery Learning Labs de l’EPFL. Sans cette approche par projets, il est difficile d’acquérir certains savoirs qui ne sont pas enseignés en tant que tels et dont ils et elles auront besoin au cours de leur vie professionnelle. » Des compétences humaines d’écoute, de diplomatie, de gestion des équipes, de collaboration notamment.

 Ce 9 mai, il reste 16 jours à l’EPFL Racing Team pour terminer sa voiture. Dans l’atelier de mécanique, Chiara finit d’usiner les inserts qui fixeront les vis dans le châssis monocoque en carbone. La technique esquissée par Laura et Jawad est maintenant au point et le résultat convaincant. « J’en ai fait 37 !, s’enthousiasme l’étudiante en deuxième année de microtechnique. Tout doit être prêt pour ce soir, car demain matin, le châssis arrive et nous devrons faire les trous pour mettre les inserts. » Chiara, intarissable sur le bonheur qu’elle a à manier le tour, un bijou de l’industrie suisse, rabote encore quelques dixièmes de millimètre sur chaque pièce. « En 2019, j’ai assisté aux journées portes ouvertes de l’EPFL et découvert la première voiture de l’EPFL Racing Team. J’ai dit à mon père : « Si j’entre à l’EPFL, je veux faire partie de cette équipe ! » Aujourd’hui, j’y suis, j’adore ! »

Baptisé «the SPOT» (Student Prototyping and Outreach Tank), le nouveau bâtiment dédié au prototypage mécanique et électronique a ouvert ses portes (Discovery Learning Lab) © EPFL / Alain Herzog

Favoriser l’interdisciplinarité

« Outre le renforcement des compétences théoriques, l’apprentissage par projets vise aussi à favoriser l’interdisciplinarité », précise Julien Delisle, en charge des projets MAKE. C’est ainsi que sont nés la vingtaine de projets MAKE, dont fait partie l’EPFL Racing Team, soutenus par l’EPFL. « Nous ne sommes pas tous là parce qu’on aime la formule 1, mais pour construire quelque chose nous-mêmes, ensemble, de façon professionnelle », reprend Jawad, en troisième année de génie mécanique et autant dans l’EPFL Racing Team. « Fabriquer une voiture électrique, ce n’est pas seulement un projet mécanique ou électrique. Parmi les plus de 70 membres de l’équipe, nous avons besoin de multiples compétences en architecture, microtechnique, communication, gestion de projet… » « La voiture ne peut pas être une addition des tâches de chacune des divisions. Il faut une synergie entre tous pour marcher ensemble dès le départ. Le châssis est par exemple conçu en fonction des suspensions, du moteur… » complète Gauthier, responsable technique de l’équipe.

« Les laboratoires de recherche ont évolué en de plus petites unités avec de moins en moins de techniciens, souligne Pascal Vuilliomenet. Le SPOT recrée les conditions cadres, avec des ingénieurs et des techniciens, pour apprendre à prototyper. Un petit outillage non dangereux, fer à souder, oscilloscope, microscope électronique, etc., est à disposition de chacun. L’accès aux ateliers de mécanique et d’électronique est en revanche contrôlé et n’est autorisé qu’en présence d’un professionnel. Pour utiliser les machines, une courte formation préalable est nécessaire. Il ne s’agit toutefois pas de former des polymécaniciens, des opératrices de machines automatisées ou des électroniciennes. Norbert Crot, Pascal Morel, Sylvain Hauser et Sébastien Martinerie œuvrent pour ça, encadrant les futurs ingénieurs de leurs indispensables compétences pratiques.

Parmi les plus de 70 membres de l’équipe, nous avons besoin de multiples compétences en architecture, microtechnique, communication, gestion de projet…

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Optimiser un hélicoptère de papier

« Travailler au SKIL et au SPOT nous a permis de gagner du temps et de l’argent en effectuant une partie du travail nous-mêmes », assure Jawad. Même si, « tant qu’on n’a pas réalisé une pièce soi-même, on ne sait pas que ça prend du temps », pointe Norbert Crot, coach à l’atelier mécanique du SPOT. « Ils calculent et nous les aidons à trouver la meilleure solution. » Cet après-midi, Florian, en deuxième année de Master en génie mécanique, doit percer une dizaine de trous dans une plaque d’aluminium. La pièce doit servir à visser des éléments dans le caisson de batterie d’un e-foil, un surf électrique qui permet de littéralement planer sur l’eau. « À part le moteur, nous le construisons entièrement, pièce par pièce. Un bon moyen d’appliquer nos connaissances tout en faisant ce qui nous plaît », justifie l’étudiant tout sourire. Avec Pascal Morel, ils commencent par calculer, papier quadrillé et crayon à l’appui, les coordonnées exactes des points à percer. Ils parlent de brides, de taraudage, de trusquin, de rondelles, d’incrément… Vient le moment de coincer la pièce dans l’étau de la fraiseuse et de calibrer la machine afin qu’elle s’exécute. Un zéro pour mettre tout le monde d’accord et des x, y, z pour fixer les coordonnées tridimensionnelles. Percer un trou, une opération triviale ?

De la galerie descend un hélicoptère de papier. Loin de respirer l’ennui, l’ambiance est pourtant des plus studieuses. C’est Viviane, en deuxième année de Master en génie mécanique, qui teste le pliage que sa collègue Jianan récupère quelque 3 mètres plus bas. Elles suivent un cours d’optimisation pour lequel elles ont choisi de calculer par différentes méthodes la façon de maximiser le temps de vol d’un hélicoptère en papier. « Il doit arriver le plus doucement possible sur le sol, comme il devrait le faire en situation réelle », précise Viviane. Et pour cela, elles font varier le ratio des « ailes » et la taille du corps selon différentes approches, alternant l’utilisation des ciseaux et de la souris.

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Une logique d’acquisition des connaissances

Les projets sont volontairement ouverts : il n’existe pas une solution unique pour résoudre un problème. « On leur apprend à travailler avec l’incertitude et à argumenter pour défendre leurs choix, assure Pascal Vuilliomenet. Cela va souvent à l’encontre de ce qui leur a été enseigné à l’école et il faut déconstruire le schéma un problème, une solution. » Enfin, l’apprentissage par projets pose aussi la question de la finalité. « Dans chaque projet, nous incitons les futurs ingénieurs et ingénieures à se poser les bonnes questions : mon projet est-il faisable, souhaitable, viable et durable ? » poursuit le responsable. En d’autres termes, il ne s’agit pas de réinventer le fil à couper le beurre ni d’imaginer le distributeur intelligent de papier de toilette.

« Nous ne sommes pas dans une logique de recherche ni d’innovation, mais d’acquisition des connaissances », pointe Samuel Cotture, responsable du SPOT et coordinateur du SKIL. Pour autant, cela ne veut pas dire que leurs projets n’évoluent pas, ne servent à rien ou ne sont pas innovants. Typiquement, les projets MAKE font appel à la créativité et à l’ingéniosité pour améliorer continuellement les solutions trouvées. Ainsi, l’EPFL Racing Team a construit cette année sa troisième voiture, qui a perdu une vingtaine de kilos par rapport à la précédente grâce à un châssis monocoque et tubulaire, plus léger, plus rigide et plus sûr. Un défi !

Autre défi, celui posé par le cours-projet d’ingénierie simultanée du professeur Pedro Reis à des troisième année de Bachelor en génie mécanique. En partenariat avec l’entreprise suisse Bernina, il a obtenu cinq machines à coudre dernier cri pour développer autant de projets inédits. Gonzalo et Guillaume par exemple ont choisi d’ajouter une sécurité aux machines pour éviter qu’un doigt de fée ne se blesse. Ils ont imaginé de placer un laser à l’endroit où l’aiguille va se planter, capable de détecter la présence d’une phalange et de provoquer l’arrêt immédiat du point. « Nous n’aurions jamais pu expérimenter ainsi l’électronique dans un cours classique, avance Gonzalo. Nous n’avons certes pas les connaissances pour le réaliser, mais l’accès aux personnes qui les ont. » Cela inclut aussi les collaborateurs de Bernina. « En faisant ça, on se sent vraiment des ingénieurs », conclut Guillaume.

Nous ne sommes pas dans une logique de recherche ni d’innovation, mais d’acquisition des connaissances

Apprendre le braille à une machine à coudre 

Un autre groupe a imaginé des vêtements modulaires aux parties amovibles grâce à des aimants; un autre de coudre dans les pansements des fils électriques intelligents capables de surveiller un épanchement de liquide dans une plaie; un quatrième un gant pour aider les personnes souffrant d’arthrite à mieux contracter les doigts. Etudiantes en semestre d’échange venues du Canada et d’Espagne, Juliet, Anusha et Maria ont opté pour apprendre le braille à leur machine à coudre. « Notre idée est de pouvoir broder, directement sur l’habit ou sur l’étiquette, des informations telles que la couleur afin de donner aux personnes aveugles plus d’autonomie quand il s’agit de choisir un vêtement dans leur armoire », avance Juliet. Elles effectuent ainsi des essais de broderie de l’alphabet braille sur des échantillons de tissus.

Nous sommes le 25 mai, un peu avant 19 heures. Les établis, tabourets et écrans à roulettes ont disparu du grand hall. Ils laissent place à un parterre de chaises à pied pour les quelque 250 personnes invitées. Les deux précédentes voitures de l’EPFL Racing team, Orion et Mercury, accueillent le public, guidé par un tapis rouge. Des spots de même couleur donnent des touches écarlates à la structure du bâtiment. Tout est rouge et blanc, les couleurs de l’équipe. Au centre des chaises disposées en U, un voile noir recouvre le bolide. C’est le grand soir, l’heure de présenter le résultat de 10 mois d’efforts, baptisée Artemis. « J’ai appris comment faire une voiture de A à Z, et découvert que, oui, c’est possible », conclut Jawad. L’aventure ne fait que commencer, avec au programme quatre compétitions cet été. 

Un centre pour améliorer les compétences transversales

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Textes | Emmanuel Barraud
Étudiantes, étudiants et marché du travail sont de plus en plus exigeants en matière d’ouverture d’esprit et de spécialisations interdisciplinaires. L’EPFL s’apprête à créer un centre destiné à favoriser leur développement.

Jeter des ponts entre les disciplines : cette volonté est au cœur de l’EPFL depuis que celle-ci s’appelle polytechnique. Mais elle s’est renforcée au tournant du siècle, avec la création des premiers centres explicitement interdisciplinaires visant à encourager le dialogue entre les différents champs d’enseignement et de recherche présents à l’École. Un exemple particulièrement remarquable est celui du Centre de neuroprothèses, qui réunit sciences de la vie et ingénierie de pointe pour que la technologie puisse contribuer significativement au bien-être de patients souffrant d’un handicap.

Aujourd’hui, le besoin de talents à multiples facettes se fait de plus en plus remarquer, en particulier de la part des employeurs. « Que ce soit par l’introduction des cours obligatoires de computational thinking ou des cours d’humanités, de même que le travail par projets, nos étudiantes et étudiants sont d’ores et déjà entraînés à une ouverture d’esprit qui dépasse leur domaine de spécialisation », remarque Kathryn Hess, vice-présidente associée pour les affaires estudiantines et l’outreach à l’EPFL. Les premiers intéressés en ont pleinement conscience, et réclament d’eux-mêmes ces compétences transversales, dont ils et elles savent qu’elles leur seront utiles pour leur carrière.

Favoriser les passerelles

L’EPFL veut franchir une étape supplémentaire : un nouveau centre pour les compétences transversales et la communication est en train d’être mis sur pied, avec des cours pilotes dès la prochaine rentrée d’automne. Son objectif : fédérer tous les enseignements pouvant être « partagés » entre différentes filières, motiver les enseignantes et enseignants à ouvrir leurs cours et leurs sessions d’exercices à d’autres profils. Mais aussi mettre en place ou renforcer des modules de formation sortant des branches principales de l’EPFL — comme par exemple les langues, la communication, l’entrepreneuriat, la gestion de projets ou de relations interpersonnelles. «Ces compétences transversales figureront explicitement sur les diplômes que nous délivrerons, reprend Kathryn Hess. Nous sommes convaincus que cela aidera beaucoup nos diplômées et diplômés à se distinguer sur le marché du travail, bien que ce ne soit pas là le seul objectif. Nous pensons aussi qu’avec une formation complétée par ces compétences transversales, les jeunes adultes quittant l’EPFL se sentiront plus à l’aise dans tous les aspects de leur vie quotidienne.»

Comme le démontre le succès des projets interdisciplinaires MAKE, le goût de la transversalité est d’ores et déjà bien présent auprès de la population estudiantine de l’EPFL. Améliorer encore l’attractivité et l’efficacité des formations touchant à plusieurs disciplines semble donc une évolution naturelle. ■

Ces compétences transversales figureront explicitement sur les diplômes que nous délivrerons

Quatre équipes de trois étudiants ont travaillé pendant un semestre pour concevoir et construire un robot de A à Z. Lors de la compétition, chacun des robots aura 10 minutes pour récolter le plus grand nombre de bouteilles vides et les ramener à la station de recyclage. EPFL biorobotics lab & MAKE initiative. © EPFL - Alain Herzog
Quatre équipes de trois étudiants ont travaillé pendant un semestre pour concevoir et construire un robot de A à Z. Lors de la compétition, chacun des robots aura 10 minutes pour récolter le plus grand nombre de bouteilles vides et les ramener à la station de recyclage. EPFL biorobotics lab & MAKE initiative. © EPFL - Alain Herzog
Quatre équipes de trois étudiants ont travaillé pendant un semestre pour concevoir et construire un robot de A à Z. Lors de la compétition, chacun des robots aura 10 minutes pour récolter le plus grand nombre de bouteilles vides et les ramener à la station de recyclage. EPFL biorobotics lab & MAKE initiative. © EPFL - Alain Herzog

Pâte à modeler et briques LEGO®

Sachant que l’ensemble des connaissances double tous les dix ans, comment pouvons-nous préparer les ingénieures et les ingénieurs du futur à analyser les faits et à les appliquer pour relever les défis mondiaux urgents ? L’une des solutions consiste à offrir aux étudiantes et étudiants une éducation holistique, c’est-à-dire, à leur apprendre à être flexibles et polyvalents, ainsi qu’à adopter une approche plus interdisciplinaire qui combine leurs connaissances en ingénierie avec des concepts issus de domaines tels que l’éthique, les politiques publiques, la durabilité et même l’art.

La plupart des cours de communication destinés aux ingénieurs se concentrent sur les aspects techniques de la rédaction d’articles et des présentations. Cependant, environ 60 % de la communication qu’ils effectuent dans le cadre de leur travail implique des modes de communication moins structurés, souvent avec des professionnels issus de milieux et de cultures différents.

Ainsi, notre École se doit non seulement de fournir aux étudiants des connaissances techniques approfondies propres à leurs domaines d’études, mais aussi des compétences transversales pouvant être appliquées dans pratiquement tous les domaines ou professions. Ces compétences comprennent la négociation, la résolution de conflits, la pensée critique, les compétences en communication, la prise de parole en public, l’inclusion, la durabilité, le raisonnement éthique et bien plus encore.

À l’EPFL, nous mettons en place plusieurs initiatives pour doter les étudiants de compétences transversales. L’une d’entre elles s’appelle 3T PLAY et leur propose d’utiliser une variété d’objets tangibles comme des briques LEGO®, de la pâte à modeler, des bâtonnets de glace, de la colle, du ruban de masquage et du carton. Cette approche leur offre la possibilité de développer ces compétences indispensables de manière ludique et pratique dans des environnements amusants et sans grands enjeux.

3T PLAY est soutenu par la Fondation LEGO et se concentre sur la création d’activités pédagogiques innovantes et la documentation de l’impact de ces activités sur le développement des compétences transversales des étudiants. Cette initiative est menée par une équipe de chercheuses et chercheurs et de conseillères et conseillers pédagogiques en collaboration avec le Centre des sciences de l’apprentissage (LEARN) de l’EPFL, le Collège de management de la technologie (CDM), le Centre de soutien à l’enseignement (CAPE) et les Discovery Learning Labs (DLL).


La technologie n’a qu’un effet potentiel. L’important est ce que l’on en fait.

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Textes | Emmanuel Barraud
Comment assurer un enseignement de pointe lorsque les outils et les attentes évoluent sans cesse ? Vice-président associé pour l’éducation à l’EPFL, Pierre Dillenbourg vient de démarrer, avec son collègue de l’ETH Zurich Manu Kapur, un programme doctoral conjoint en sciences de l’éducation, destiné à des diplômées et diplômés de sciences techniques.

Maîtriser son sujet et en parler avec passion, c’est bien. Disposer des bons outils pour transmettre ses connaissances de façon efficace, c’est encore mieux. À l’EPFL, la démarche pédagogique est sans cesse remise sur le métier en fonction de l’évolution des méthodes, des filières, des attentes et des contingences. Le CAPE (Centre d’appui à l’enseignement), le CEDE (Center for digital education), le CHILI Lab (Computer-Human Interaction in Learning and Education), le centre LEARN ne sont que quelques-unes des entités que l’École a mises en place afin de faire bénéficier la communauté étudiante des dernières avancées possibles et imaginables en termes de transmission de savoir.

Cela n’est donc pas tout à fait par hasard que l’EPFL a été la première université d’Europe continentale à lancer des MOOCs en 2012, ni qu’elle a pu, début 2020, transformer l’ensemble de ses enseignements en cours en ligne en l’espace d’un week-end, confinement oblige.

«Bilingues» de la matière et de l’art de l’enseigner

Derrière la plupart de ces projets, on retrouve un nom : Pierre Dillenbourg. Directeur du CHILI Lab, mais aussi vice-président associé pour l’éducation à l’EPFL et fondateur de l’incubateur EdTech Collider destiné à faire croître des start-ups actives dans le domaine de l’éducation, l’ancien prof d’école primaire voue une véritable passion à l’évolution de l’enseignement — à tous les niveaux, des élèves primaires aux doctorants en passant par les apprentis.

Il lance cette année, avec son collègue Manu Kapur, titulaire de la chaire des sciences pédagogiques et de l’éducation supérieure à l’ETH Zurich, un nouveau programme doctoral consacré aux sciences de l’apprentissage. «Le but est de former des diplômées et diplômés “ bilingues ”, en ce sens qu’à leur Master dans une branche technique s’ajoutera un travail de thèse dans les sciences pédagogiques», explique Pierre Dillenbourg. Et de préciser que les sujets de thèse ne concernent pas uniquement l’enseignement académique, mais s’étendent aussi du primaire au gymnase. «Nous estimons que la meilleure des formations possibles dans le domaine pédagogique, c’est de travailler soi-même sur les méthodes d’enseignement — pas seulement de les appliquer», poursuit-il.

Pour cette première volée, neuf candidatures ont été retenues — sur 51 postulations. Un processus très sélectif dû au fait, entre autres, que les doctorants bénéficieront de deux cosuperviseurs, rattachés respectivement à Zurich et Lausanne.

Le but est de former des diplômées et diplômés “ bilingues ”

Adapter les outils — parfois pendant le cursus

Avant d’en arriver là, les étudiants et étudiantes de l’EPFL bénéficient d’ores et déjà de beaucoup d’innovations mises en place ces dernières années. Dont certaines peuvent d’ailleurs très bien survenir en cours de cursus, tant les progrès peuvent être rapides. «Nous utilisons par exemple une combinaison d’outils informatiques qui ont été développés pour remplacer les solutions utilisées ces dernières années. Piazza, notamment, est une plate-forme de questions-réponses entre étudiants et enseignants, plus performante que le forum de Moodle, reprend Pierre Dillenbourg. Nous commençons aussi à généraliser le recours à Jupyter, un logiciel qui permet d’intégrer directement du code dans les notes de cours. Non seulement cela contribue à entraîner les étudiants à la programmation, mais cela permet aussi des présentations particulièrement dynamiques et interactives, dans lesquelles on peut modifier des variables et en observer les effets sans devoir changer de plate-forme.»

Le plus important, souligne le spécialiste, est de rester ouvert à l’innovation, et de ne pas hésiter à tester de nouvelles méthodes prometteuses — au risque, peut-être, de parfois se tromper. L’«échec productif» est d’ailleurs au cœur des méthodes enseignées par Manu Kapur. «Des études ont montré que des étudiants confrontés d’abord à un problème à résoudre, puis à la présentation des instructions pour le résoudre développaient davantage de compétences que si les choses sont présentées dans l’ordre inverse, résume Manu Kapur. Cela tient au fait qu’en essayant — et en se trompant — sur la base de leurs connaissances préalables, ils réalisent quels sont leurs manques et sont davantage réceptifs à de nouvelles connaissances pour les combler.»

Ce principe peut évidemment s’appliquer de façon particulièrement pertinente dans les modules de cours basés sur l’apprentissage par projets. En intégrant la notion d’échec productif à la formation des enseignants, c’est une démarche particulièrement prometteuse que ces derniers pourront déployer dans leurs cours.

Laboratoire d’ergonomie éducative (CHILI) du prof. Pierre Dillenbourg. © EPFL – Alain Herzog

90 start-ups EdTech à Lausanne

Mais parler d’innovation, c’est aussi évoquer le monde des start-ups. Or nombre d’entre elles sont particulièrement actives dans le domaine de l’éducation — un champ que l’on nomme EdTech. L’EPFL a — une nouvelle fois — fait preuve d’un esprit visionnaire en ouvrant sur son campus, en 2017, le premier EdTech Collider d’Europe continentale. Aujourd’hui, plus de 90 start-ups ont bénéficié des services de cet accélérateur de projets. «Nous assistons aujourd’hui aux premiers rachats de nos start-ups par de grands acteurs de l’éducation numérique. C’est un joli succès», se réjouit Pierre Dillenbourg.

Plusieurs des sociétés actives au sein de l’EdTech Collider développent des solutions basées sur la réalité virtuelle ou augmentée. L’avenir dira s’il ne s’agit que d’un effet de mode ou si les avantages pédagogiques se confirment sur le long terme. «Mais il y a déjà des exemples remarquables, reprend Pierre Dillenbourg. Ubisim, par exemple, a créé un outil immersif en réalité virtuelle pour l’apprentissage des gestes liés aux soins infirmiers. Cela permet de consacrer beaucoup d’heures à l’entraînement, sans devoir mobiliser des superviseurs et des patients. Cette société a été achetée fin 2021 par Labster, leader du marché pour les labos virtuels et les simulations scientifiques, dont le CEO est d’ailleurs un ancien doctorant de Manu Kapur.»

Dans le domaine de la formation en ligne, c’est Coorpacademy, l’une des premières entreprises à s’être installée à l’EdTech Collider, qui a séduit Go1, un groupe australien, pour devenir sa tête de pont en Europe.

Nous assistons aujourd’hui aux premiers rachats de nos start-ups par de grands acteurs de l’éducation numérique.

Transformer le potentiel

Le monde de l’éducation bouillonne donc, que ce soit par des avancées pédagogiques ou technologiques. Il s’adapte en permanence à l’évolution de la société elle-même, de ses besoins et de ses attentes — pour que les citoyennes et citoyens de demain, celles et ceux qui sont maintenant en formation, soient à leur place dans un monde dont on ne connaît encore pas les contours, avec des métiers que l’on n’est pas encore en mesure d’imaginer aujourd’hui. «Dans tout cela, il faut toutefois garder à l’esprit que les outils ne font pas tout. En matière d’éducation comme ailleurs, la technologie n’a qu’un impact potentiel : il incombe aux formatrices et formateurs, ainsi qu’à leurs élèves, de transformer ce potentiel, d’exploiter les technologies au plus juste en fonction de la matière à transmettre. L’outil, en lui-même, n’apporte aucune garantie de succès : ce qui compte, c’est l’activité cognitive qu’il pourra susciter», conclut Pierre Dillenbourg. ■

L’outil, en lui-même, n’apporte aucune garantie de succès : ce qui compte, c’est l’activité cognitive qu’il pourra susciter.

Cours en solo, exos en classe : une combinaison gagnante

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Dimensions - Le magazine de l'EPFL
Textes | Leila Ueberschlag
Dans une classe inversée, les cours d’introduction se donnent en ligne tandis que les sessions d’exercices et la résolution de problèmes se font en présence de l’enseignant.

«L’objectif de notre recherche était d’explorer des pistes afin de rendre le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques plus inclusif et représentatif », explique Himanshu Verma, un des auteurs d’une étude menée sur deux volées d’étudiantes et d’étudiants et deux semestres d’automne entre 2017 et 2019, qui portait sur le cours obligatoire d’algèbre linéaire de première année Bachelor. La classe du professeur Simone Deparis a été dispensée dans le format inversé (condition expérimentale), et les autres cours ont été enseignés de manière traditionnelle par huit professeures et professeurs différents (condition de contrôle). En tout, sur environ 900 volontaires, plus de 300 étudiantes et étudiants ont suivi le cours en format inversé.

«Nos résultats montrent que la méthode inversée semble être plus inclusive que les méthodes d’enseignement dites classiques», se réjouit Himanshu Verma. «Concrètement, le format inversé a permis de réduire de manière significative les disparités préexistantes entre différents types d’étudiantes et étudiants», ajoute-t-il. Celles et ceux qui possédaient un background «plus faible» en mathématiques ont obtenu de meilleurs résultats lors de l’examen de fin de semestre que celles et ceux avec un background similaire ayant suivi le cours dispensé de manière non inversée. Ainsi, l’écart entre les étudiantes et étudiants avec des niveaux différents se réduit (alors qu’il persiste dans les groupes contrôles) sans affecter les résultats de celles et ceux ayant une formation antérieure plus forte.

«Nous avons également observé un effet de genre, souligne-t-il. Les étudiantes possédant un background moins solide en mathématiques et qui ont suivi les cours dispensés de manière inversée ont obtenu d’aussi bons résultats que les étudiantes et étudiants très “performants”.»

Un modèle difficile à évaluer

«La classe inversée est un modèle pédagogique complexe qui comporte plusieurs éléments, dont la préparation en amont à la maison et les différents types d’activités implémentées dans la classe», relève Cécile Hardebolle du Centre d’appui à l’enseignement de l’EPFL, qui a mené cette recherche et accompagné le professeur Deparis dans la réalisation de sa classe inversée. Il s’agit donc d’un modèle qui est difficile à évaluer. «Dans le cadre de cette étude, nous avons implémenté ce modèle dans un contexte réaliste, tout en concevant une étude quasi expérimentale avec un design rigoureux permettant de comparer une condition contrôle avec une condition expérimentale — de manière à être sûrs de ce qui était mesuré, ajoute-t-elle. C’est la combinaison de ces deux éléments qui donne toute la validité aux résultats obtenus et c’est précieux pour l’EPFL d’avoir de telles données directement issues de son environnement.»

Diminuer l’hétérogénéité des classes

Cécile Hardebolle juge les résultats encourageants : «Pour toutes les professeures et les professeurs qui pensent à inverser leurs classes, le fait de savoir que ce modèle peut aider les étudiantes et étudiants qui n’ont pas nécessairement le background le plus fort dans leur matière est un signe positif.» Elle observe que les professeures et les professeurs se posent souvent des questions quant à la meilleure manière d’aborder les classes de première année Bachelor, passablement hétérogènes en raison des différentes formations préalables des étudiantes et étudiants. «La classe inversée est une méthode qui a fait ses preuves de ce point de vue et qui permet une meilleure intégration dans notre cursus», assure Cécile Hardebolle.

Si l’intérêt pour la classe inversée existe depuis plusieurs années à l’EPFL, l’arrivée de la pandémie de COVID-19 a accéléré son adoption : tirant parti du matériel vidéo produit par l’enregistrement des cours, certaines enseignantes et enseignants ont expérimenté avec succès des alternatives à la transmission des connaissances en classe. Les étudiantes et étudiants peuvent maintenant bénéficier de cours inversés dans de nombreuses branches, en Bachelor comme en Master. ■

Robotique et numérique sur les bancs d’école

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Textes | Nathalie Jollien
L’EPFL développe des outils et méthodes d’enseignement pour les écoles primaires et secondaires. Elle participe aussi à la formation des enseignants à l’éducation numérique.

Inauguré en 2018, le Centre des sciences de l’apprentissage (centre LEARN) développe des pratiques éducatives novatrices qui facilitent l’apprentissage scolaire et participe ainsi activement à l’évolution du système éducatif suisse. Pour cela, il travaille en étroite collaboration avec les enseignantes et les enseignants sur le terrain pour expérimenter de nouvelles techniques pédagogiques, dans le but de démontrer leurs avantages et transformer les découvertes en pratiques pédagogiques innovantes et durables.

Thymio, le robot éducatif développé il y a 11 ans, en est un bon exemple. Il permet de découvrir le monde de la robotique, d’acquérir des compétences en matière de pensée informatique et de codage ainsi que des compétences transversales, telles que la communication, la collaboration, l’esprit critique et la créativité. Conçu par des scientifiques de l’EPFL, en collaboration avec l’ECAL, il est utilisé par des écoles des niveaux primaire, secondaire et même universitaire du monde entier. Quelque 80’000 robots ont été produits à ce jour, dont plus de la moitié équipent des écoles suisses et françaises. Les autorités vaudoises le déploient dans toutes les classes primaires du canton depuis janvier 2021.

Dans le projet Cellulo, les robots remplacent les crayons. Ce sont des robots essaims, chacun d'eux très simple et abordable, qui résident sur de grandes feuilles de papier contenant les activités d'apprentissage. © Catherine Leutenegger/EPFL
Dans le projet Cellulo, les robots remplacent les crayons. Ce sont des robots essaims, chacun d'eux très simple et abordable, qui résident sur de grandes feuilles de papier contenant les activités d'apprentissage. © Catherine Leutenegger/EPFL

Stylos du futur

Le concept d’éducation numérique de Thymio repose sur trois piliers : une plateforme open source durable, des interfaces de programmation simples et des ressources d’apprentissage et un écosystème riches. Parmi la palette d’activités proposées, on trouve le projet pédagogique international «Remote Rescue with Thymio II» (R2T2), développé par l’EPFL et NCCR Robotics. Le principe est de rassembler des élèves du monde entier autour de tâches collaboratives sur le thème d’une mission spatiale, par exemple la mission de sauvetage sur Mars. Chaque équipe, composée d’enfants de 8 à 18 ans, doit programmer et faire évoluer son engin à distance depuis sa salle de classe via une retransmission vidéo des robots de chaque équipe, réunis à l’EPFL sur une même «base martienne». Depuis 2015, des missions spatiales R2T2 ont été menées avec plus de 3000 étudiants dans 13 pays d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Afrique et l’éventail de missions proposées s’est étoffé. La dernière-née, mission Corona, a été créée spécialement pour les jours de confinement afin d’offrir aux enseignants une session entièrement en ligne.

Dans un autre registre, le centre LEARN mène un projet de robotique éducative avec les robots. Fonctionnant en essaim, ils ont été conçus pour permettre de visualiser de manière tangible ce qui est immatériel dans l’apprentissage. Il est par exemple possible de saisir et de déplacer une planète, sous la forme d’un robot Cellulo, pour voir ce qu’il advient de son orbite, ou de faire vibrer une molécule avec ses mains pour voir comment elle se comporte. Les activités d’apprentissage couvrent une variété de sujets, allant de la géométrie à l’écriture manuscrite en passant par la pensée informatique ou encore les comportements émergents. Plus de 600 enfants à travers le monde ont pu tester Cellulo dans le cadre de diverses études. Les dernières en date ont évalué son potentiel pour l’entraînement cognitif de personnes âgées.

Dans le projet Cellulo, les robots remplacent les crayons. Ce sont des robots essaims, chacun d'eux très simple et abordable, qui résident sur de grandes feuilles de papier contenant les activités d'apprentissage. © Catherine Leutenegger/EPFL

Éducation numérique

L’éducation numérique a également fait son entrée sur les bancs d’école. Introduite officiellement en avril 2021 dans le Plan d’études romand (PER), au même titre que les mathématiques, les langues ou les arts, elle s’inscrit dans la stratégie nationale pour la transition numérique. Dans cet effort, Vaud fait figure de pionnier, d’une part parce que son dispositif s’appuie sur une forte collaboration avec les hautes écoles présentes sur son territoire, d’autre part parce qu’il est le seul canton à englober l’ensemble des degrés scolaires dans sa réforme, y compris les tout-petits. Pour mener à bien ce chantier numérique, le Canton s’est entouré de l’UNIL et de la HEP Vaud, et a confié le pilotage du projet au centre LEARN.

Baptisé « EduNum », ce projet vise d’une part à renforcer la formation du corps enseignant de l’école obligatoire, et d’autre part à assurer la formation des élèves depuis le premier cycle de leur scolarité (dès 4 ans). L’éducation numérique est intégrée de manière transversale à toutes les disciplines et doit permettre aux élèves d’acquérir les connaissances et les compétences fondamentales pour devenir des citoyennes et citoyens informés, réfléchis et autonomes face aux défis posés par la numérisation croissante de la société.

Du côté du corps enseignant, le but est d’encourager la créativité et de valoriser le potentiel de diversification pédagogique. Ainsi, entre 2018 et 2020, l’équipe du centre LEARN, avec l’étroite collaboration des autres institutions partenaires, a délivré des formations à près d’un millier d’enseignantes et enseignants des cycles 1 et 2 (élèves de 4 à 13 ans) répartis dans 12 établissements pilotes. À partir de l’année scolaire 2020-2021, un modèle en cascade permet aux enseignants de devenir à leur tour les formateurs de leurs pairs. Ce déploiement concerne aujourd’hui 20 % des élèves à l’école obligatoire, tous cycles confondus, soit plus de 20’000 élèves répartis dans 30 établissements vaudois.

En parallèle, 2020-2021 a vu l’introduction de l’enseignement de la science informatique aux élèves du cycle 3 (élèves de 12 à 15 ans) dans le cadre du lancement d’un projet pré-pilote mené dans trois établissements scolaires. Et le centre LEARN a développé un CAS en science informatique pour répondre au besoin de formation. Enfin, une équipe s’est aussi penchée sur le développement de ressources pédagogiques pour le niveau vaudois du gymnase. Ceci pour répondre à l’exigence de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique concernant l’entrée de l’informatique en tant que discipline obligatoire dès 2022, et à la demande du Canton de Vaud. ■

Illustration © Corridor Cosmique
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L’éducation qui voit loin

En 2012, l’EPFL lançait ses premiers MOOCs : des cours en ligne, accessibles à tous gratuitement. Depuis, la palette de formations continues de l’EPFL n’a cessé de se développer et compte aujourd’hui des formations spécialement conçues pour permettre à chacun d’améliorer ses connaissances. L’EPFL Extension School par exemple propose des formations sur les sciences des données, la programmation ou l’intelligence artificielle aboutissant au titre académique de Certificate of Open Studies (COS).

L’EPFL fait aussi partie du projet « Swiss Circular Economy of Skills and Competences » (SCESC), débuté en février 2022 pour une durée de quatre ans, qui réunit de hautes écoles de Suisse, dont l’Université de Saint-Gall. Son but : développer une plateforme sur laquelle les personnes pourront enregistrer leurs compétences personnelles et les professions qu’elles souhaiteraient exercer. Ces indications seront ensuite mises en lien avec des offres de formation continue et des offres d’emploi. Un consortium issu des différents horizons va exploiter l’intelligence artificielle afin d’obtenir les résultats les plus pertinents possibles. Selon les initiateurs du projet, un changement de système est nécessaire pour répondre à l’énorme besoin de reconversion et de formation continue des individus et des entreprises. La plateforme pourrait réinventer la manière dont les gens apprécient leurs compétences, leur parcours professionnel et le marché du travail local. ■

www.epfl.ch/education/continuing-education/fr

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Interview

Nous devrions normaliser le fait que l’apprentissage fait partie de tout emploi.

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Textes | Anne-Muriel Brouet
Till Leopold est responsable de la division Éducation, compétences et apprentissage au World Economic Forum et coauteur de Catalysing Education 4.0, un rapport publié en mai. Il nous fait part de ses réflexions sur la relation entre la technologie, les compétences non techniques et l’éducation.

Qu’entendez-vous par Éducation 4.0 ?

Dans de nombreux pays, les systèmes éducatifs ont peu évolué depuis la première révolution industrielle. De nombreux systèmes éducatifs adoptent une approche semblable à celle des usines, avec des processus standardisés pour la production de masse, un peu comme dans les années 1930. C’est peut-être un peu exagéré, mais si vous regardez d’autres aspects de la société, comme l’organisation du travail de bureau, les changements ont été énormes au cours des 100, 50 et même 20 dernières années. Par rapport à cela, on peut dire que l’éducation n’a pas beaucoup changé. Par Éducation 4.0, nous entendons un système éducatif qui adapte avec succès l’apprentissage actuel à la quatrième révolution industrielle, tant en termes de compétences professionnelles que de compétences pratiques. Cela signifie qu’’il faut être capable de naviguer dans l’économie et la société du futur, où les technologies seront plus nombreuses et l’interdépendance croissante entre toutes les choses. L’Éducation 4.0 traite de ce que nous devons apprendre, mais aussi de la manière dont nous l’apprenons.

Quelles compétences sont importantes dans le cadre de l’Éducation 4.0 ?

Les compétences technologiques au sens large sont bien sûr essentielles. Je ne parle pas de technologies très spécialisées, mais simplement d’une connaissance de base du fonctionnement de la technologie et d’une ouverture d’esprit. La technologie jouera un rôle plus important dans de nombreux emplois. Mais d’autres compétences plus humaines sont nécessaires : personnelles, émotionnelles, sociales, l’innovation, la créativité, etc.

Enfin, et surtout, on a besoin d’une citoyenneté mondiale, qui englobe tout, de la conscience éthique à la conscience environnementale. Si l’on considère par exemple la situation en Ukraine, ou ce que nous devons faire pour lutter contre le changement climatique, il est clair que l’objectif de l’éducation ne peut pas se limiter à l’obtention d’un emploi. Les compétences citoyennes sont également de plus en plus importantes, même sur le lieu de travail.

Quelle est la place de l’apprentissage informel ?

On estime qu’environ 70% de ce que nous apprenons provient de l’apprentissage informel. Un système d’apprentissage pour l’avenir devrait donc inclure des méthodes permettant de démontrer, de documenter et de quantifier l’apprentissage tant formel qu’informel.

Comment ces compétences pourraient-elles être mesurées et valorisées ?

Dans l’esprit de l’apprentissage par projets, les nouvelles méthodes de mesure pourraient impliquer un processus d’évaluation plus continu et itératif, consistant notamment à donner aux gens un retour sur ce qu’ils savent faire afin de les motiver au fil du temps. Finalement, nous ne mesurerions plus votre niveau en maths à 18 ans, par exemple, mais les compétences émotionnelles qui sont en fait un indicateur de votre réussite sur le lieu de travail et de votre capacité à collaborer avec les autres, à travailler en équipe, etc.

Que peut apporter la technologie à l’éducation ?

La technologie revêt de nombreuses formes, de la connectivité sans fil aux assistants à intelligence artificielle. Elle peut favoriser l’accès à l’éducation pour les personnes vivant dans des zones reculées et accroître l’inclusion en se concentrant beaucoup plus sur les besoins d’apprenants particuliers, créant ainsi une expérience d’apprentissage plus adaptée et ciblée. En même temps, il y a toujours le risque de considérer la technologie comme une solution miracle ou une fin en soi. Ceux qui obtiennent déjà de bons résultats sont plus enclins à tirer profit de la technologie. L’introduction de la technologie — de quelque manière que ce soit — doit donc s’inscrire dans une approche globale. Nous devrions continuer à chercher des solutions à faible technologie ou sans technologie.

Que serait un bon système éducatif ?

L’époque où l’on apprenait une fois quelque chose qui servait pour le reste de la carrière est révolue. On ne peut attendre cela d’aucun système éducatif. Quel que soit votre emploi, hautement spécialisé ou non, on estime que 40 % des compétences que vous utilisez au quotidien sont susceptibles de changer dans les cinq ans. Nous devons donc devenir des apprenants tout au long de la vie. Les systèmes éducatifs doivent préparer les gens à cela, en leur apprenant à apprendre, mais aussi à être motivés et curieux.

Quel que soit votre emploi, hautement spécialisé ou non, on estime que 40 % des compétences que vous utilisez au quotidien sont susceptibles de changer dans les cinq ans.

Que devrions-nous changer dans le système éducatif actuel ?

Une chose est certainement la façon classique de faire les examens. Elle n’a pas changé depuis le XIXe siècle : rangez vos livres, ne parlez à personne, vous avez 30 minutes pour écrire tout ce que vous savez — et cela vous permettra d’obtenir un certificat qui vous donnera un bon emploi. Ce n’est pas la réalité. Au lieu d’enseigner des faits, il est plus judicieux d’enseigner pourquoi ils sont pertinents ou non.

Quels sont les secteurs les plus touchés dans le cadre de la quatrième révolution industrielle ?

En fait, la création d’emplois dans le cadre de la quatrième révolution industrielle est positive : la technologie crée plus d’emplois qu’elle n’en détruit. Plus encourageant encore : nombre de ces emplois ne sont pas très spécialisés et peuvent être trouvés dans une grande variété de secteurs, du marketing à l’économie verte ou à la santé. Plutôt que de voir des secteurs particuliers changer ou disparaître complètement, nous constatons que certains rôles au sein de ces secteurs sont en train de se transformer. Le problème est que ces emplois nouvellement créés sont souvent très différents des anciens, et qu’il n’est pas possible de faire passer les gens de l’emploi qu’ils occupaient au nouvel emploi. Nos recherches ont montré que 50% de la main-d’œuvre actuelle devra être requalifiée au cours des cinq prochaines années.

Quel est le rôle des universités ?

Les hautes écoles et les universités sont, bien sûr, absolument essentielles à cet égard. Mais le système éducatif formel ne peut pas fournir tout ce dont nous avons besoin. Le processus éducatif doit impliquer diverses entités des secteurs public et privé. Mais surtout, il faut accepter que l’apprentissage fasse partie de tout emploi — pas seulement pendant votre temps libre, mais aussi pendant les heures de travail. Cela peut passer par un retour temporaire à l’école avec l’appui de l’employeur et le soutien financier et les incitations du gouvernement. L’équilibre entre vie professionnelle, vie privée et apprentissage doit changer. ■

Lien vers le rapport : go.epfl.ch/CatalysingEducation4.0

La technologie crée plus d’emplois qu’elle n’en détruit.